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Compte-rendu définitif des visites de SNPE et Tolochimie le 23 octobre 2001 par Alain Marcom et Jean-Pierre Bataille, "Plus jamais ça, ni ici ni ailleurs"

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Accueil et présentation chez SNPE : le directeur, le chef de la sécurité, le directeur d'Isochem, une ingénieure des procédés, et un autre qui nous accompagnera aussi chez Tolo.

Distribution de masques à gaz, casques et lunettes et départ en bus. Il pleut, c'est assez sinistre. Traversée des bâtiments sociaux et de bureaux en RDC ou R+1 dévastés dans la partie nord de l'usine. A raser.

Passage près de la cuve de méthanol qui a été vidangée pour cause de fuite dûe à un projectile venu d'AZF.

Passage le long de la Garonne et vue sur AZF ; impressionnant ! Explication sur les types de productions, et arrêt sur le pipe-line pont qui transporte du monochlorobenzène de Tolochimie vers la SNPE, du phosgène dissous à 40% dans le monochlorobenzène (fourni par Tolochimie) vers Tolochimie, de l'hydrogène, du gaz naturel et de la vapeur. Ce pipe-line a une longueur de 1913 m. A chaque extrémité du tuyau « phosgène » il existe une vanne automatique ; ce tuyau a un diamètre intérieur de 6 cm environ (épaisseur 6 mm), il est dans un autre tuyau où circule de l'air analysé en permanence et qui permet de localiser les fuites (mais nous n'avons pas vu le tuyau « équipé de dispositifs automatiques d'isolement de la partie du tuyau pouvant être endommagée », comme il était précisé dans le rapport datant de 1999...). On peut donc considérer qu'il y a 20 m3 de liquide (12 m3 de monochlorobenzène mélangés à 8m3 de phosgène) qui ont été vidangés de ce tuyau après l'explosion.

Le bâtiment de la chaufferie n'est pas en forme (incapacité de fournir de la vapeur à Tolochimie pour l'abattage de son phosgène) mais il est récupérable d'après la SNPE (apparemment pour la cheminée les certitudes sont chancelantes et cela explique pourquoi les feux de signalisation pour les avions ne sont toujours pas réinstallés). La station de pompage à l'extrême sud de l'ile n'a pas souffert, et elle a toujours fonctionné, ce qui a permis de refroidir ce qui craignait le tiède.

Les bâtiments carrossés en plaques de fibrociment ou tôles d'acier, que ce soit en toîture ou en parois verticales ont beaucoup plus souffert que les installations à l'air libre qui ont facilement laissé passer le souffle. Difficile de savoir si tous les tuyaux sont en état mais les ossatures visibles ont l'air d'avoir bien tenu le choc. Notre visite étant faite un mois après l'explosion, nettoyages et réparations ne nous permettent pas de savoir dans quel état étaient véritablement les installations. Et aujourd'hui l'activité normale étant arrêtée, difficile de dire si tuyauterie est vraiment en état.

La méthode d'intervention utilisée a consisté à faire passer un bataillon d'experts et une armée d'entreprises executantes qui faisaient les travaux immédiatement. Au dire du chef de la sécurité, plus rien ne risque de tomber, tout ce qui craignait a été démonté ; les tuyaux, tubes et réacteurssont à l'air mais ne risquent pas de recevoir d'objet. « Tout a été vérifié ». (Vu le nombre de soudures à vérifier tant en ce qui concerne la structure que les équipements, chapeau !)

Le directeur nous annonce que la visite est terminée. Il nous faut insister pour que nous fassions marche arrière vers le milieu de l'usine pour visiter le quartier du phosgène, véritable objet de notre visite. La salle de contrôle est assez surréaliste ; un tableau de bord d'une demi-douzaine d'ordinateurs, avec des surveillants habillés pour l'extérieur. La toîture en tôle est apparente par dessous, le plafond et l'isolation sont partis. Mais la déformation du toît est telle qu'il a fallu faire des trous dans les points bas et coller des tubes de gouttières pour récupérer l'eau de pluie. Tout ça est presque étanche grâce au ruban adhésif et au mastic colle. Ça goutte un peu quand-même à l'intérieur mais pas sur les ordinateurs. Un étai jaune au milieu de la pièce achève de lui donner le look Tchernobyl. Vu la déformation de la poutrelle métallique principale du toît (on dirait de la guimauve), l'étai n'est pas au chômage. On nous explique comment marchent les systèmes de surveillance. On peut s'étonner vu les dégâts dans la salle de contrôle, que le système informatique ait pu continuer de fonctionner. Dehors au grand air face à AZF, les fûts de 950 kg de phosgène (19 sont pleins et 36 (?) sont vides) dorment tranquillement sous bâches (pour éviter les regards indiscrets, selon l'information officielle). Les fûts tiennent une pression de 40 bars et l'onde d'AZF n'a apporté qu'une surpression de 50 millibars.

Les fameuses cuves semi-enterrées de phosgène sont en fait des cuves en sous-sol. Ces cuves sont dans un local en dépression qui est donc la deuxième peau assurant le double-confinement. Les tôles de la paroi nord de ce local sont neuves. En effet le souffle ou des projectiles ont éventré cette paroi. D'autre part le ventilateur situé sur la tour d'abattage du phosgène a été détruit (difficile d'imaginer que seul un ventilateur ait été endommagé sur l'installation). Après l'explosion on peut considérer que le phosgène n'était plus « sécurisable ». C'est à dire que si un projectile avait touché l'une de ces cuves (comme cela avait été le cas de la cuve de méthanol), rien n'aurait pu empêcher le phosgène de se répandre. Et cela atténue le communiqué de la SNPE du 2 octobre qui précisait : « la très bonne résistance des installations de production de SNPE, démontre le niveau de sécurité en vigueur ».

Il n'y a pas eu de problème avec le phosgène simplement parce qu'aucun projectile n'a crevé les cuves de phosgène et parce que le souffle de l'explosion n'a pas été sur la SNPE. Combien de temps la situation est-elle restée ainsi avant que le phosgène soit remis sous double-confinement ? Aujourd'hui il s'agit de se débarrasser des 16,6 tonnes de phosgène stockées dans ces cuves. Il existait deux solutions tehniques : ré-embouteillage pour expédition ou destruction à la soude. C'est le ré-embouteillage qui est le plus sûr car on n'a jamais tenté de neutraliser une telle masse de phosgène et les installations ne s'y prêtent pas, d'après la direction de SNPE. Cela signifierait que les installations n'ont jamais étédimensionnées pour traiter un risque majeur (où tout le phosgène des cuves pourrait s'échapper) ou, plus prosaïquement, les installations ne sont pas suffisamment fiables pour être utilisées actuellement. Or, à Tolochimie avec des installations et des techniques similaires on a détruit le phosgène. Donc soit les installationsde la SNPE sont plus touchées qu'on nous le dit, soit le plus rentable est le ré-embouteillage (sachant que le phosgène vaut plus de 10000 francs le kilo et qu'il faut continuer d'approvisionner les clients afin qu'ils ne changent pas de fournisseur). Ce ré-embouteillage ne peut pas être envisagé chez Tolochimie car il n'est pas équipé pour fournir du phosgène mais pour l'utiliser.

L'ingénieure ne comprend pas l'agressivité de « La Dépêche » à l'égard des industries du pôle chimique sud. Nous le verrons aussi à Tolochimie, les salariés de ces installations font totalement corps avec l'entreprise et prennent pour eux personnellement les critiques adressées au système économique qui organise leur travail. Ils ont complètement intégré les enjeux de concurrence et de rentabilité.

Le directeur d'Isochem nous a expliqué que s'il était venu s'installer ici c'était par souci d'économie : niveau de sécurité sur le site, proximité des matières premières et des savoirs-faire. Ceci dit, Isochem comme Tolochimie sont des filiales à 100 % de SNPE, qui elle-même est une société de droit privé ayant un seul actionnaire : l'Etat. Peut-être y a-t-il un intérêt là quoi ne voit pas ? Isochem a démarré son activité - dont un médicament de la trithérapie du Sida – dans un beau bâtiment neuf, il y a dix-huit mois. Le directeur reconnaît que les produits fabriqués par Isochem et dépendant du phosgène ne représentent pas plus de 10 % de l'activité de l'entreprise. Il y a encore l'entreprise finlandaise Raisio qui utilise le phosgène pour rendre le papier moins absorbeur d'encre. Nous n'avons aperçu que l'entrepôt qui n'a plus de toît et pas grand chose dedans. On peut s'étonner que l'installation n'ai « pas souffert » comme on nous le dit.

Après avoir rendu nos masques à gaz, nous allons à Tolochime. Petite entrevue et visite du site (cette fois la panoplie de l'équipement individuel de sécurité est : casque, lunettes de protection, et capteur d'émission pour le phosgène). Activités : concentration d'acide nitrique (de 60 à 99%), fabrication d'amines, fabrication d'isocyanates. L'essentiel de l'utilisation de ces produits est destinée à l'agriculture (désherbants, fongicides, etc.). Cette usine très dépendante de la SNPE (phosgène, vapeur) et d'AZF-Grande-Paroîsse (eau industrielle, etc.) serait dans l'incapacité de produire aujourd'hui même si elle en avait l'autorisation. Elle peut utiliser d'après le directeur, très vague sur les chiffres, jusqu'à vingt tonnes par jour de phosgène venant de la SNPE (en 1999, la consommation maximale de phosgène était de l'ordre de 25t/j et Tolochimie précisait alors : « dans le futur, l'augmentation dûe à l'atelier D pourra conduire à une consommation maximale journalière de 43 tonnes »).

Ce qui surprend au début c'est qu'il n'y a quasi aucune trace de l'explosion : une seule vitre plastifiée, pas de tas de gravats, toutà l'air d'avoir échappé au massacre. « L'usine est à plus de huit-cents mètres du hangar qui a explosé », nous dit un des cadres. Pas grand chose à dire. Le moral n'est sans doute pas fameux, parce qu'ils passent leur temps à détruire leur stock de phosgène (des 9,8 tonnes d'origine il en restait moins d'une tonne à détruire ce matin, cela devrait être terminé d'ici la fin de la semaine). C'est sur la maîtrise de ce gaz hyper-dangereux que repose leur valeur ajoutée.

Comme impression générale : les salariés n'ont aucune distance vis-à-vis du 21 septembre. En plus d'être des victimes de l'explosion, ils se sentent les victimes de la réprobation extérieure, et ceux qui n'appartiennent pas à AZF le ressentent comme une profonde injustice. Le mot d'ordre de fermeture du site leur paraît une sanction accompagnée du chômage comme punition. Aucun doute ni sur l'utilité de leur production, ni sur la sécurité n'est apparu dans leur discours.

Toutefois la direction de Tolochimie pense qu'il y a effectivement un avant et un après, mais seulement lié au 11 septembre (tours de New-York), et pense qu'il faudra intégrer la possibilité d'un attentat ou le crash d'un avion dans les prochaines mesures de sécurité.

M. Savall (Président du SPPPI) a insisté pour que les industriels envisagent de se passer du phosgène et qu'il serait temps de financer véritablement des recherches dans ce sens (le carbonate de méthyle étant une piste fort probable d'après les recherches faites à Toulouse-même par des universitaires).

Il y a des contradictions ou au moins des approximations entre les stocks annoncés, les débits courants, et les flux en neutralisation. Soit les stocks initiaux de la SNPE, de Tolochimie ainsi que de leurs clients étaient et sont encore au-dessus des autorisations légales, ce qui empêche l'absorption par le marché de ce qui reste sur place ; soit les flux de destruction, neutralisation ou abattage ne sont pas aussi efficaces qu'ils le disent.

S'il n'a pas été simple d'imposer par l'intermédiaire du SPPPI et de la Préfecture cette visite aux industriels, il n'est pas simple non plus de digérer ces trois heures de confrontation in situ avec l'industrie chimique, ses patrons et ses techniciens. Malgré leur proposition, il n'a pas été possible de rencontrer sérieusement les délégués de la CGT qui avaient pris contact ce matin. Mais il faudra le faire et se fixer les conditions d'une telle rencontre avant d'entreprendre le débat régional.

Alain Marcom et Jean-Pierre Bataille
"Plus jamais ça, ni ici ni ailleurs"
Commission Environnement et Sécurité du Site

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